Oscar Venceslas de Lubicz Milosz

La Berline Arrêtée dans la Nuit –

” Homme des Confins Baltes par Naissance et Sensibilité,
Milosz est, par choix de sa langue d’Ecrivain, l’un des grands Poètes Français du siècle.
D’abord Poète de la Nature, il devient Poète de Dieu et même Messager Prophétique.
Pourtant, ses déclarations de Soumission au Catholicisme ne suffisent pas à l’arrimer durablement à l’Orthodoxie. Comme un Alchimiste apparemment soucieux de produire + que de l’Or,
et qui découvrirait sans cesse des métaux Inconnus, + Subtils et peut-être + Dangereux,
Milosz s’engage sur la Voie des Bâtisseurs de Vertige.
Il est de ceux qui, célébrant l’Architecte des Mondes, Dérobent trop de Secrets,
Lèvent trop de Mystères pour croire encore aux simples et Séraphiques Harmonies.
Francis de Miomandre insiste sur la Complexité Constitutive de ce Poète “Violent jusqu’au Délire de la Colère et Doux comme un Agneau,
Orgueilleux comme Lucifer et se ruant dans l’Humilité comme on se précipite dans un Abîme,
bref, bourré des contradictions les + explosives”.
Car Milosz, même dans la Prière, se révèle un Ordonnateur d’Impossible : le Saint Egaré de plusieurs Univers. ”

” En attendant les clefs
– Il les cherche sans doute
Parmi les vêtements
De Thècle morte il y a trente ans –
Écoutez, Madame, écoutez le vieux, le sourd murmure
Nocturne de l’allée…

Si petite et si faible, deux fois enveloppée dans mon manteau
Je te porterai à travers les ronces et l’ortie des ruines jusqu’à la haute et noire porte
Du château.
C’est ainsi que l’aïeul, jadis, revint
De Vercelli avec la morte.

Quelle maison muette et méfiante et noire
Pour mon enfant !

Vous le savez déjà, Madame, c’est une triste histoire.

Ils dorment dispersés dans les pays lointains.
Depuis cent ans
Leur place les attend
Au cœur de la colline.
Avec moi leur race s’éteint.
Ô Dame de ces ruines !

Nous allons voir la belle chambre de l’enfance : là,
La profondeur surnaturelle du silence Est la voix des portraits obscurs.
Ramassé sur ma couche, la nuit,
J’entendais comme au creux d’une armure,
Dans le bruit du dégel derrière le mur,
Battre leur cœur.

Pour mon enfant peureux quelle patrie sauvage !

La lanterne s’éteint, la lune s’est voilée,
L’effraie appelle ses filles dans le bocage.

En attendant les clefs
Dormez un peu, Madame. – Dors, mon pauvre enfant, dors
Tout pâle, la tête sur mon épaule.
Tu verras comme l’anxieuse forêt
Est belle dans ses insomnies de juin, parée
De fleurs, ô mon enfant, comme la fille préférée
De la reine folle.

Enveloppez-vous dans mon manteau de voyage :
La grande neige d’automne fond sur votre visage
Et vous avez sommeil.
(Dans le rayon de la lanterne elle tourne, tourne avec le vent
Comme dans mes songes d’enfant
La vieille – vous savez – la vieille.)

Non, Madame, je n’entends rien.

Il est fort âgé.
Sa tête est dérangée.
Je gage qu’il est allé boire.

Pour mon enfant craintive une maison si noire !
Tout au fond, tout au fond du pays lithuanien.

Non, Madame, je n’entends rien.

Maison noire, noire. Serrures rouillées,
Sarment mort,
Portes verrouillées,
Volets clos,
Feuilles sur feuilles depuis cent ans dans les allées.
Tous les serviteurs sont morts.
Moi, j’ai perdu la mémoire.

Pour l’enfant confiant une maison si noire !

Je ne me souviens plus que de l’orangerie
Du trisaïeul et du théâtre :
Les petits du hibou y mangeaient dans ma main.
La lune regardait à travers le jasmin.
C’était jadis. J’entends un pas au fond de l’allée,
Ombre. Voici Witold avec les clefs. “

/

Oscar Venceslas de Lubicz Milosz ~ ~

Poèmes 1895-1927

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *