A World Apart – Chapitre VII – Extinction5 (1)
Ils vivaient – ou plutôt, survivaient – dans un quartier du Queens appelé Corona, lieu de ralliement des Déchus et Rebuts du Rêve Américain.
Vladimir n’avait jamais connu son père, et il n’était pas sûr que sa mère se souvienne de son identité, car cela faisait de longues années qu’elle se droguait et faisait des passes occasionnelles en guise de règlement en nature,
quand elle n’avait pas des amants de passage, fruits amers et délétères de ses compulsions sentimentales momentanées.
Elle avait essayé bien des drogues : la Scopolamine, la Métamphétamine (Crystal Meth), la Méphédrone, l’Oxidado, mais là, elle avait stoppé net sur une variante de la Désomorphine, surnommée Krokodil, choix encore plus fatal que tous les autres réunis.
Vladimir regardait sa mère se shooter. Dans l’infâme bordel du salon, le Soleil nimbait son visage de poupée expirante de manière féérique ; il l’enveloppait d’un voile doré de mariée, jouant avec les reflets délicats de ses cheveux blonds, pas lavés depuis des semaines.
Ils vivaient – ou plutôt, survivaient – dans un quartier du Queens appelé Corona, lieu de ralliement des Déchus et Rebuts du Rêve Américain.
Vladimir n’avait jamais connu son père, et il n’était pas sûr que sa mère se souvienne de son identité, car cela faisait de longues années qu’elle se droguait et faisait des passes occasionnelles en guise de règlement en nature, quand elle n’avait pas des amants de passage, fruits amers et délétères de ses compulsions sentimentales momentanées.
Elle avait essayé bien des drogues : la Scopolamine, la Métamphétamine (Crystal Meth), la Méphédrone, l’Oxidado, mais là, elle avait stoppé net sur une variante de la Désomorphine, surnommée Krokodil, choix plus fatal que tous les autres réunis.
Cette drogue était désignée ainsi parce que, sur la zone d’injection, la peau devient verte, rugueuse et écailleuse : elle nécrose.
Cette substance considérée comme la + dangereuse au monde est composée de codéine, d’essence, de dissolvant pour peinture, d’iode et de phosphore rouge (l’extrémité inflammable des allumettes).
On l’appelle aussi la drogue du Zombie, en raison de ses effets dévastateurs : décomposition de la chair jusqu’à l’os, gangrène, amputation, doublées d’un défaut d’élocution, de lésions cérébrales et d’une mobilité réduite.
Vladimir ignorait que le Krokodil allait ronger les muscles puis les os de sa mère de manière irrémédiable, la défigurer et, statistiquement parlant, la tuer sous un délai d’1 à 3 ans, tandis que sa Génitrice s’en moquait :
le Krokodil était jusqu’à 20 fois moins cher que l’héroïne et 15 fois + puissant ; autant dire, un produit irrésistible, même s’il engendrait la putréfaction progressive et irréversible, du vivant de ses victimes.
Cela faisait plusieurs jours que Vladimir n’allait plus à l’école, sa mère étant trop faible pour l’y amener et refusant qu’il s’y rende sans elle, prétextant qu’il avait besoin d’elle pour accomplir le trajet, alors que c’était elle qui avait besoin de lui pour se rendre aux toilettes, s’alimenter et se laver quelque peu.
Mais comme il n’y avait plus de nourriture dans les placards, il commençait à souffrir de la faim, et plus seulement d’ennui et d’isolement.
Sa mère avait dû être belle, dans un passé lointain où les stupéfiants ne l’enserraient pas encore dans une danse macabre. L’ovale parfait de son visage et la finesse de ses traits renvoyaient vaguement aux Vierges sages de Raphaël.
Mais pour l’heure, la Madone se faisait précautionneusement un fix par injection intraveineuse. Puis elle se cala moelleusement contre le dossier du canapé convertible de couleur crème pour attendre son «flash», cette phase d’extase qui dure moins de 2 heures dans le cas du Krokodil, ce qui l’incitait à renouveler son sordide rituel dans la même journée.
Pour s’occuper, Vladimir décida de faire la vaisselle, le ménage et un peu de rangement dans le 2 pièces exigüe qu’il partageait avec sa mère.
Soudain, il entendit 3 hommes arriver : le fournisseur attitré de sa mère et 2 voix inconnues. On entrait dans leur appartement comme dans un moulin, sa mère refusant de fermer la porte d’entrée à clef, soit-disant par peur de perdre celle-ci et de se retrouver séquestrée. Après une conversation agitée entre les intrus et elle, Vladimir comprit qu’elle était en train de se faire violer.
Il soupira et décida de sortir. Où irait-il, cette fois-ci ? New York était en soi vaste comme un océan, aux couleurs toujours changeantes, mutantes. Il avait l’impression d’être une étoile à la dérive dans ses artères liquides. Il s’y sentait en sécurité, comme dans le sein d’une mère – confort tranquille qu’il n’avait jamais connu.
Il décida de se rendre, cette fois-ci, dans le Financial District. Comme le trajet prenait + de 3 heures à pied, il alterna entre la marche et les Bus 7 et F. Il passa dans la Church Street, devant l’Oculus, ce sinistre oiseau blanc officiant à la fois comme station de Métro (la World Trade Center du PATH) et temple commercial, censé représenter une colombe quittant les mains d’un enfant…
Puis Vladimir trotta, le pas ralenti par l’épuisement, jusqu’au Charging Bull, sur la place de Bowling Green. Il fut sidéré par cette masse de bronze musculeuse de 3,2 tonnes, se propulsant en vacillant vers une petite fille campée stoïquement devant lui, et baptisée pour la circonstance Fearless Girl.
Dans le monde de la Finance, le Taureau représente hypothétiquement la hausse du marché, ses longues cornes allant du bas vers le haut lors de ses attaques. Mais en vérité, il fait référence au Veau d’Or biblique, au culte idolâtre – et satanique – de l’argent, et est l’ambassadeur de Mammon, un des 3 Princes supérieurs de l’Enfer, soumis à Lucifer. Il est une version déviante du dieu égyptien Apis, lui-même avatar d’Osiris…
Quant à Fearless Girl, cette statue d’une fillette fièrement campée sur ses 2 jambes dans sa robe virevoltante, elle est l’effigie de la puissance de commandement féminine et de son aptitude au combat spirituel, et de la sorte, une allusion à peine voilée à Sophia, à la Vierge… ou à Isis.
Vladimir l’étudia attentivement ; elle était à l’opposé de sa mère, pleine de force et de vigueur, jamais disposée à céder dans l’antagonisme, inflexible. Il l’admira, mais il était encore plus fasciné par le Taureau, prêt à tout dévaster sur son passage.
Puis il remarqua qu’un homme dans la quarantaine l’examinait. Il était vêtu luxueusement, quoique sobrement, d’un costume 3 pièces Canali et de chaussures Richelieu Stefano Bemer. Il s’agissait de Larry Whitehouse, un Magnat de la Finance, l’homme qui allait devenir le plus important dans sa vie, pour les 20 prochaines années…
Larry Whitehouse était aussi un Franc-Maçon parvenu aux plus hauts degrés, donc pédo-satanique, ce qu’ignorait, bien sûr, Vladimir. Mais il fut instantanément attiré par cet homme, ne serait-ce que parce qu’il lui accordait un intérêt dépourvu de toute pitié ou condescendance, ce qu’il lisait régulièrement dans lee yeux des hommes qui côtoyaient sa mère. Oui, cet homme lui inspirait confiance, ou plus exactement, sa réussite discrète mais évidente lui inspirait confiance.
Larry lui sourit presque tendrement, joyeusement – une manifestation émotionnelle qu’il n’était pas non plus accoutumé à côtoyer – et s’approcha de lui d’un pas souple, comme s’il flottait sur le bitume. Il lui posa la main sur l’épaule et lui demanda : ” Où sont tes parents, fiston ? Tu es perdu ? “
Vladimir n’eut pas envie de lui mentir, ce qui était son réflexe ordinaire, et la vérité jaillit de lui comme une source de la terre : ” Je ne connais pas mon père et ma mère se drogue.”
Larry ne sembla pas décontenancé par sa réponse lapidaire, et son sourire s’agrandit magiquement : ” Alors, je t’invite chez moi – si tu le souhaites, bien sûr. Puis je te ramènerai à la maison. “
Incrédule mais fasciné, Vladimir hocha positivement le menton et le suivit. Une limousine Bentley Mulsanne gris perle les attendait languissamment. L’enfant n’avait jamais vu de voiture aussi belle.
La Berline prit la direction du Woolworth Building, à 6 minutes de route. C’était une tour dans le + pur style néogothique, arborant des gargouilles, des arcs-boutants, des fleurons et des pinacles.
Vladimir s’extasia devant le hall monumental, cruciforme, d’une hauteur de 3 étages, aux voûtes ornées de mosaïques en tessères de verre byzantines, et recouvert de marbre veiné de l’île de Skyros.
Il eut l’impression d’entrer dans une cathédrale, et un sentiment presque religieux le saisit – son bienfaiteur était un dieu qui vivait parmi les dieux. Peut-être même était-il mort sans s’en rendre compte, et venait-il d’entrer furtivement au Paradis !
Ils prirent l’un des 34 magnifiques ascenseurs au style Art Déco ultra rapides, avançant à l’allure de 2I0 mètres par minute, pour rejoindre le condominium de Larry, niché au 33ème étage de la tour.
Pour l’anecdote, le Woolworth Building abrita des scientifiques du Projet Manhattan, notamment le physicien et espion soviétique Klaus Fuchs ; cette bande de joyeux drilles y travailla sur l’enrichissement de l’uranium.
Le penthouse de Larry était sublime, mais Vladimir chavira lorsqu’ils pénétrèrent dans la bibliothèque intégralement revêtue d’essences de bois rare qui semblait être une nacelle lévitant hors du temps.
Les lampes et les lampadaires modelés dans de la pâte de verre, mêlant le style fleuri de Gallé à la modernité épurée de Daum, émettaient une lumière bleutée, émeraude ou jade qui conféraient à ce lieu silencieux une ambiance d’aquarium, où les livres richement reliés en cuir et à la tranche passée à l’or fin luisaient comme des poissons de haut fond.
Les boiseries sombres qui constituaient les portiques immuables de ce temple du savoir émurent Vladimir au plus profond de son coeur. Il préférait encore ce temple de la Connaissance au sanctuaire de la Beauté qui l’avait précédé, et il se jura d’en effleurer toutes les pages, tel le Sirocco glissant sur les dunes blondes.
Il tourna son visage angélique vers Larry et lui fit un sourire ébloui.
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